La production alimentaire et les changements climatiques ou l’urgence d’agir
Face à l’évolution rapide du climat au niveau mondial, le compte à rebours a commencé il y a longtemps déjà … et il se termine bientôt. Or nous ne semblons pas en mesure de produire les changements nécessaires pour nous prémunir de la multiplication et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes, comme les vagues de chaleur et les sécheresses. Agir au niveau du système alimentaire est primordial. A la fois parce qu’il est un grand contributeur de gaz à effet de serre, mais aussi parce que les effets du changement climatique feront peser une lourde menace sur la production alimentaire si nous n’agissons pas résolument en faveur d’une agriculture durable et résiliente capable de répondre à une demande grandissante.
Au travers des objectifs énoncés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur le changement climatique, la communauté internationale semble avoir pris la mesure du défi que représente la lutte contre les changements climatiques. Sommes-nous sur la bonne voie ? Il est clair que non. Les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas. Petite piqûre rappel sur l’importance et l’urgence de transformer en profondeur les systèmes alimentaires et agricoles – entre autres – partout dans le monde.
Les effets attendus sur le système alimentaire
- Selon le 5e rapport du GIEC, le changement climatique portera atteinte à la sécurité alimentaire de multiples manières d’ici le milieu du XXIe siècle et au-delà.
- Par ses effets sur la redistribution des espèces marines à l’échelle mondiale et la réduction de la biodiversité dans les régions sensibles, la pérennité de la productivité de la pêche est menacée.
- La production des cultures céréalières quant à elle, à défaut d’adaptation, devrait souffrir des hausses locales de la température moyenne de 2°C ou plus par rapport aux niveaux de la fin du XXe siècle, bien que certaines zones particulières risquent d’être favorisées.
- Ce sont les populations rurales (des pays du sud) qui en pâtiront le plus. Considérant la possibilité d’une hausse plus forte des températures, le 5e rapport du GIEC conclut :
« Des hausses de la température moyenne du globe d’environ 4 °C ou plus par rapport aux niveaux de la fin du XXe siècle, combinées à une hausse de la demande d’aliments, engendreraient des risques considérables pour la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale (degré de confiance élevé).
Il est vraisemblable que les zones rurales subiront des incidences importantes qui influeront sur la disponibilité et l’approvisionnement en eau, sur la sécurité alimentaire, sur les infrastructures et sur les revenus agricoles, et qui provoqueront des déplacements des zones de production de cultures vivrières ou autres à travers le monde (degré de confiance élevé) ». [1]
- De son côté, la FAO rappelle qu’après 2030, « les répercussions négatives du changement climatique sur la productivité de la culture, de l’élevage, de la pêche et de la foresterie devraient s’aggraver dans toutes les régions du monde. (…) Les pénuries alimentaires entraîneraient de fortes hausses des prix, dont l’instabilité serait par ailleurs accentuée par la variabilité accrue du climat ». [2]
Vous prendrez bien quelques degrés de plus
L’ampleur des conséquences varie selon les différents scénarios de hausse des températures. Une petite différence de température peut avoir d’importants effets comme l’a souligné le dernier rapport du GIEC, comparant les conséquences d’un réchauffement de 1,5°C par rapport à 2°C, et soulignant l’importance de se fixer 1,5°C comme objectif.
Mais aujourd’hui, vers quel scénario nous dirigeons-nous ?
Eh bien, il n’y a pas de quoi être optimiste. Les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas, voire augmentent encore. Les températures mesurées ces dernières années montrent que nous arpentons le chemin du scénario haut du GIEC. Il s’agit du plus pessimiste des scénarios simulé par les modèles dans le 5e rapport du GIEC et appelé RCP (représentative concentration pathway) 8,5. Il correspond à la prolongation des émissions de CO2 actuelles et projette, à horizon 2100, une fourchette d’augmentation de température possible entre + 3.2°C et + 5.4°C par rapport aux niveaux préindustriels (1860). [3]
Ce constat effrayant se confirme car les modèles qui simulent le mieux la période actuelle ont tendance à projeter, pour le futur, un réchauffement proche de … 5°C d’ici 2100 !
Une planète aussi chaude… l’espèce humaine ne l’a jamais connue. Il ne s’agit pas de verser dans le catastrophisme mais bien de mesurer l’ampleur du risque… et d’agir en conséquence, sous peine de voir évoluer le climat comme le montre la simulation réalisée par l’US Geology Survey basée sur ce redouté scénario RCP8,5.
Le secteur de l’alimentation lui-même contributeur
Si l’on souhaite contenir l’augmentation de la température mondiale sous le seuil critique des 2 °C, il faudra réduire les émissions de pas moins de 70% d’ici à 2050. Or, l’agriculture, la foresterie et le changement d’affectation des sols sont responsables d’environ 20% des émissions de gaz à effet de serre.
« Les émissions de dioxyde de carbone issues de l’agriculture sont dues principalement aux pertes de matière organique aérienne et souterraine qui résultent du changement d’affectation des terres, comme la conversion des forêts en pâturages et en terres cultivées, et de la dégradation des sols, provoquée notamment par le surpâturage. La majeure partie des émissions directes de méthane et d’oxyde nitreux, deux gaz à effet de serre puissants, est liée à la fermentation entérique dans les élevages, à la riziculture inondée et à l’utilisation d’engrais organiques et synthétiques. Ces émissions pourraient toutes être réduites avec de meilleures pratiques de gestion. » [4]
Notons que le système alimentaire pris dans son ensemble, par la fabrication de produits agrochimiques, par l’utilisation de combustibles fossiles dans les exploitations agricoles et par les opérations de transport, de transformation et de commercialisation participe encore plus grandement en réchauffement global. [5]
Il est donc indispensable que le secteur de alimentation œuvre à atténuer ce réchauffement global, tout en préservant sa capacité de répondre aux besoins alimentaires de la planète.
Vers une agriculture plus durable, résiliente et productive
La transformation des modèles agricoles est donc nécessaire mais devra satisfaire l’augmentation attendue de la demande alimentaire mondiale (une augmentation de 60% au moins par rapport à son niveau de 2006 en 2050) sous l’effet de l’accroissement de la population, de l’augmentation des revenus et de l’urbanisation.
Selon la FAO toujours, « l’agroécologie et l’intensification durable sont deux exemples d’approches qui améliorent les rendements et renforcent la résilience par le biais de pratiques telles que l’épandage d’engrais verts, les cultures de couverture fixant l’azote, la gestion durable des sols et l’intégration avec l’agroforesterie et la production animale ». [6]
De telles approches ont en plus l’intérêt de renforcer la résilience des exploitations agricoles face aux impacts des changements climatiques car selon la FAO, sans adaptation au changement du climat, il ne sera pas possible de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous.
Enfin, c’est tout au long de la chaine du système alimentaire qu’il faudra agir, des politiques agricoles aux modèles de consommation. Le changement de mode de production devra s’accompagner entre autres de la lutte contre le gaspillage et d’une évolution du contenu de l’assiette. Sur ce point encore, la lutte contre le changement climatique rejoint des objectifs de santé publique, ce qui mérite d’être souligné.
Sources images :
Figure 1 : Docuclimat - Figure 2 : Sciences et avenir - Figure 3 : USGS
[1] GIEC 2014, Changements climatiques 2014 - Rapport de synthèse - Résumé à l’intention des décideurs, p. 16.
[2] FAO, (2016), « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture - changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire » – Résumé, p12.
[3] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/rechauffement-climatique-un-scenario-a-5-c-se-profile-si-on-ne-fait-rien_119191
[4] FAO, (2016), « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture - changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire » – Résumé, pp.17-18.
[5] FAO, (2016), « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture - changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire » – Résumé.
[6] FAO, (2016), « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture - changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire » – Résumé, p.5.