Le glyphosate : le pesticide de la discorde
Le glyphosate, principe actif du célèbre désherbant Roundup, est le pesticide le plus utilisé au monde. Son impact sur la santé fait l’objet d’une bataille d’experts, à l’heure où la Commission doit bientôt décider du renouvellement de son autorisation – ou non – en Europe.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a classé le glyphosate « cancérogène probable » pour l’homme tandis que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a jugé « improbable » qu’il soit cancérogène. Alors, passera ou passera pas ?
Comment expliquer ces deux avis diamétralement opposés ?
Dans un article publié le 28 mars 2016, Le Monde a investigué les raisons de cette divergence de résultat. En voici quelques-unes.
Sans conflits d’intérêt les experts ?
Premièrement, mentionnons la différence de profil des organismes et des experts qui ont formulé ces avis.
L’avis du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, a été formulé par un groupe de chercheurs dont les identités sont connues sélectionnés sur leur excellence scientifique et l’absence de conflit d’intérêt. Sur ce dernier point, il faut croire le CIRC sur parole.
A l’inverse, l’identité des experts maison de l’EFSA n’est pas connue, et l’image de l’agence européenne en termes de conflit d’intérêt a déjà été écornée par le passé. En effet, des doutes sur sa neutralité sont permis.
- Elle est accusée par certaines ONG comme Corporate Europe Observatory, qui travaille sur le lobbying au sein des institutions européennes, d’entretenir des liens avec les grands noms de l’industrie alimentaire, dont Monsanto. Les carrières des décideurs de l’agence passés par l’industrie en témoignent.
- Par ailleurs, l’avis de l’EFSA se base sur un travail préparatoire d’un Etat rapporteur, l’Allemagne par le biais de l’Institut fédéral allemand d’évaluation du risque (BfR) dans ce cas-ci. Or le groupe d’experts qui a travaillé à l’élaboration de ce pré-rapport comprenait des scientifiques directement employés par l’agrochimie rapporte le quotidien Le Monde.
- Autre élément troublant : sur un total de 75 experts nationaux désignés pour passer en revue l’avis de l’EFSA, seuls 14 ont accepté de voir leur nom rendu public et donc d’être associés à l’avis définitif de l’agence européenne. Etonnant…
Indépendante la recherche ?
Passé la comparaison entre les deux panels « d’experts », la suite coule de source : les méthodologies d’évaluation et les résultats ne sont pas les mêmes. Ces différences se situent à plusieurs niveaux dont voici quelques illustrations.
-* Les études prises en compte par le CIRC sont essentiellement publiées dans des revues scientifiques. Par contre, pour établir le pré-rapport destiné à l’EFSA, l’Institut fédéral allemand d’évaluation du risque (BfR) prend également en compte des études fournies par une vingtaine d’industriels commercialisant des pesticides à base de glyphosate réunis au sein du Glyphosate Task Force. Le problème principal avec ces études, c’est qu’elles sont confidentielles ; leur qualité ne peut donc pas être jugée par la communauté scientifique.
- A côté de cela, Le Monde évoque des différences dans l’interprétation des résultats des études passées en revue. Par exemple, l’EFSA attribue certaines corrélations au hasard alors que le CIRC les considère comme des preuves d’une relation de cause à effet. Ou encore, les traitements statistiques choisis pour les deux avis sont différents. Celui choisi par l’EFSA conclut que les effets constatés sont non-significatifs tandis que celui choisi par le CIRC (et recommandé par l’OCDE) conclut à des résultats significatifs.
- Last but not least, des impacts sur la santé humaine mis en évidence par certaines études n’ont pas été pris en compte par l’EFSA. Raison évoquée : les effets ont été observés dans le cas de populations exposées à des herbicides pulvérisés qui contiennent des coformulants [1]. Selon l’agence européenne, il est donc impossible de dire si c’est le glyphosate ou plutôt les co-formulants ajoutés qui sont responsables des dommages chromosomiques observés. Or une étude scientifique publiée récemment la revue Chemosphere conclut sur la génotoxicité du glyphosate. Et quand bien-même, ne pas prendre en compte les adjuvants chimiques présents de facto dans les produits revient à observer l’impact du glyphosate en dehors des conditions réelles, ce que fait donc l’EFSA.
Alors, passera ou passera pas ?
Ni les conclusions de l’OMS, ni l’avis de l’EFSA ne sont contraignants. Le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dépendra de la Commission et les Etats-membres qui trancheront fin juin.
L’enjeu est de taille en termes de santé, d’environnement et d’intérêt privé. Il faut savoir qu’environ trois quarts des cultures OGM actuelles sont modifiées pour tolérer le glyphosate selon le quotidien Le Monde. Au-delà des milliards de dollars d’intérêts privés qui sont en jeu, c’est le modèle agricole européen lui-même qui est concerné.
Au regard de l’avis de l’EFSA, le renouvellement de l’autorisation du glyphosate semblait n’être qu’une formalité mais le Commissaire européen à la santé et la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, a demandé que soient rendues publiques les études toxicologiques sur lesquelles l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a fondé son analyse des risques sanitaires. Difficile de dire si cela fera bouger les lignes.
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[1] Un coformulant est une substance destinés à être mélangée avec un produit phytopharmaceutique et qui renforce son efficacité ou ses propriétés pesticides